Marion Kühn - Université Laval/CRILCQ

Les temps de la guerre. Images de l’histoire et expériences temporelles dans Où j’ai laissé mon âme et Le Principe de Jérôme Ferrari

Où j’ai laissé mon âme et Le Principe de Jérôme Ferrari mettent tous les deux en scène une appropriation individuelle d’une guerre. Reprenant des sujets très présents dans le paysage romanesque actuel en France, à savoir la guerre d’Algérie et la Deuxième Guerre mondiale, ils dessinent, de plus, le mouvement rétrospectif si caractéristique du « roman archéologique » (Viart 2007), voire de la « métafiction historiographique » (Hutcheon 1985; Nünning 1995) auxquels s’apparentent nombre de fictions historiques d’aujourd’hui. Les deux romans se démarquent toutefois, car malgré cette structure « présentiste », la restitution difficile du passé ne semble pas être l’enjeu principal de l’intrigue, qui tourne dans les deux cas autour d’un conflit de valeurs tragique. La guerre se trouve condensée en l’expérience d’un choix moral déchirant qui fait ressortir l’identité multiple des personnages. Ce faisant, dans le cas de ces deux romans, raconter la guerre ne contribue pas à travailler à ce qu’elle ne se reproduise plus, mais à la présenter en tant que début d’un nouvel âge dont le système axiologique s’est généralisé depuis. Pour ce faire, les deux romans déploient un mouvement dialectique de rapprochement et de distanciation lors duquel un personnage-narrateur s’adresse depuis le présent à un protagoniste déphasé qui, lui, a commis un « péché » (Où j’ai laissé mon âme: 45, 136; Le Principe : 141, 154).
Je me propose d’analyser de quelle manière le dispositif narratif et temporel complexe d’une telle mise en perspective(s) de deux parcours de personnages ne met non seulement en contraste des systèmes de valeurs, mais les présente comme la base d’une diversification d’expériences temporelles. Pendant que Le Principe fait converger le progrès en physique et la montée du nazisme pour aboutir au règne actuel du capitalisme au Moyen-Orient, Où j’ai laissé mon âme fait entrer en communication le grand récit de la bible avec une succession de guerres dans lesquelles se sont empêtrés les personnages, par exemple. Lors de la communication, il s’agira de cerner ces relations conflictuelles entre le temps « objectif » de l’histoire et le temps subjectif du vécu, qui entraîne, dans les deux cas, des expériences de temps, voire de « hors-temps » proprement fictionnelles.


Œuvres citées :

Ferrari, Jérôme. Où j’ai laissé mon âme. Arles : Actes Sud, 2010.
Ferrari, Jérôme. Le Principe. Arles : Actes Sud, 2015.
Hutcheon, Linda. A Poetics of Postmodernism: History, Theory, Fiction. New York: Routledge, 1988.
Nünning, Ansgar. Von historischer Fiktion zu historiographischer Metafiktion. Theorie, Typologie und Poetik des historischen Romans. Tome 1.Wiesbaden: WVT, 1995.
Viart, Dominique. « Témoignage et restitution. Le traitement de l’Histoire dans la littérature contemporaine ». Gianfranco Rubino (éd.). Présence du passé dans le roman français contemporain, Bulzoni: Rome 2007, p. 43-64.

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