Serraï Virginie - Université Grenoble-Alpes

Où était Dieu ?(1)
La foi et les valeurs chrétiennes à l’épreuve de la torture pendant la guerre d’Algérie, dans Où j’ai laissé mon âme de Jérome Ferrari


Dans Où j’ai laissé mon âme, le récit de l’errance et de la descente aux enfers du capitaine Degorce durant la guerre d’Algérie s’ouvre sur une citation de la Genèse : «Pourquoi as-tu fait cela? J’entends le sang de ton frère dans le sol me réclamer vengeance. Désormais le sol te maudit, lui qui s’est ouvert pour recueillir le sang de ton frère, ta victime. »(2)
La guerre d’Algérie fut menée par des militaires de carrière qui, pour beaucoup d’entre eux étaient issus de familles de tradition chrétienne, mais aussi par des appelés qui, s’ils n’étaient pas toujours croyants ou pratiquants, sont arrivés en Algérie forts d’un certain nombre de valeurs issues de cette France chrétienne.
En alternant les points de vue de narration entre celui sans pitié du lieutenant Andreani, celui rongé de culpabilité du capitaine Degorce et enfin celui du dialogue de ce dernier avec le prisonnier Tahar, inébranlable, même face à la mort, dans la foi en son combat, Jérôme Ferrari problématise ces enjeux religieux.
« Vous êtes un bourreau et un assassin. Vous n’y pouvez plus rien, même si vous êtes encore incapable de l’accepter. […] Personne ne vous punira pour ce que vous avez fait, personne ne vous offrira la rédemption avec le châtiment que votre orgueil réclame. Vos prières sont vaines. »(3)
Nous proposons dans cette communication d’analyser comment, en décrivant la chute morale, intellectuelle et religieuse du capitaine Degorce sur trois jours, correspondant chacun à trois citations de l’Ancien testament et des Evangiles, Jérôme Ferrari met en lumière, au-delà du sujet de l’effondrement de l’empire colonial français, de la disparition d’un monde, l’impuissance de tout un système de croyances à empêcher l’ignominie de la torture, et son incapacité à soulager les consciences meurtries. Plongeant dans la foi individuelle ébranlée, Où j’ai laissé mon âme, revisitant les frontières entre bourreaux et victimes, entre juges et condamnés, questionne le passé et l’avenir d’une société toute entière.

(1) Titre de l’ouvrage de Michel Froidure : Où était Dieu ? Lettres de révoltes et d’indignation d’un appelé en Algérie : 1956-1958, Metz, Awal, Mettis, 2006.
(2) Jérôme Ferrari ne retranscrit pas la citation. Il en indique les références précédées d’une date comme suit : 27 mars 1957 : premier jour, Genèse, IV, 10.
(3) Jérôme Ferrari, Où j’ai laissé mon âme, Arles, Actes sud, 2010, p.23.


Bibliographie

BÉRIDA François, FOUILLOUX Étienne (dir.), La Guerre d’Algérie et les chrétiens, Cahiers de l’IHTP numéro 9, Paris, 1988.
BOLLARDIERE de Jacques, Bataille d’Alger, Bataille de l’homme, Paris, Bouchène, 2003.
BRANCHE Raphaëlle, La Torture l’armée pendant la guerre d’Algérie, Paris, Gallimard, 2001.
BRANCHE Raphaëlle (prés.), La Guerre d’indépendance des Algériens, Paris, Perrin, coll. « Tempus », 2009.
FROIDURE Michel, Où était Dieu ? Lettres de révoltes et d’indignation d’un appelé en Algérie : 1956-195 ; textes présentés et annotés par Tassadit Yacine, Metz, Awal, Mettis, 2006.
VIDAL-NAQUET Pierre, Les Crimes de l’armée française, Paris, Maspero, 1975.  

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