Florence Lhote - Université Libre de Bruxelles

« Le Mal sous l’apparence du Bien »: Où j’ai laissé mon âme de Jérôme Ferrari

Où j’ai laissé mon âme (2010)(1) de Jérôme Ferrari met en scène les soldats André Degorce et Horace Andreani face au « Mal » : le recours à la torture, avéré, lors de la guerre d’Algérie (1954-1962) par l’Armée française. Cette fiction prend à témoin l’Histoire mais également son interprétation : comment aurions-nous réagi face à la torture ? C’est la question que pose l’écrivain, choisissant de suspendre, l’espace du récit, le jugement moral. Et c’est bien ici tout l’intérêt de la démarche de Ferrari que de s’intéresser, comme il nous l’a confié lors d’un entretien à « la façon dont le Mal peut apparaître sous les yeux du Bien »(2). Cette préoccupation, qui se retrouve dans l’ensemble de son œuvre, en fait une voix singulière et autonome dans le paysage de la littérature française contemporaine. À travers le surprenant dialogue entre Degorce et Andreani se partage, tout au long du récit, la ligne de bascule entre victime et héros. Le capitaine Degorce, qui tente de se désolidariser de la pratique de la torture, tout en étant bourreau, n’est-il pas aussi victime, au même titre que les Algériens ? Le remords, la honte le tenailleront toute sa vie durant: cet endroit, en Algérie, où « il a laissé son âme ». Au-delà de la rupture entre victime et héros, Ferrari décrit la chute. Celle d’un homme qui nous apparaît en ‘héros’ dans Le Sermon sur la chute de Rome (2012)(3) , dont l’écriture précède (et cela est significatif) Où j’ai laissé mon âme. Nous aimerions étudier la façon dont Jérôme Ferrari prend le parti de suspendre son jugement moral dans ce roman puis la dichotomie entre victime et héros en nous penchant sur les « voix » des personnages, celles qui semblent parler malgré eux.

(1) Jérôme Ferrari, Où j’ai laissé mon âme, Paris, Actes Sud, 2010.
(2) Entretien avec Jérôme Ferrari dans le cadre de ma thèse, Paris, 4 octobre 2013.
(3) Jérôme Ferrari, Le Sermon sur la chute de Rome, Paris, Actes Sud, 2012.

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